On me demande régulièrement ce que je fais, comment ça se passe d'être prestataire (ce qu'on appelle aussi l'assistance technique (AT) contractuellement), donc comme ça fait 7 ans que c'est mon quotidien je vous livre ma vision des choses. Aussi bien pour les gens qui se pose la question de changer de monde (passé d'un éditeur à une ESN faisant essentiellement de la prestation) que pour les gens qui découvrent le secteur de l'informatique.

Disclaimer : j'oppose un peu plusieurs postures et très souvent le fait d'être interne à celui d'être presta mais n'y voyez aucun jugement, tous les status ont des avantages et des inconvénients, être interne comme prestataire n'est pas fait pour tout le monde, vous allez le voir en lisant cet article.

Faire de la régie

Je commence par évoquer une autre option du monde de l'ESN (Entreprise de Services du Numérique) : la régie. En gros l'idée c'est que plutôt que d'aller chez le client, on va travailler dans les locaux de l'ESN pour laquelle on travaille, avec des gens de notre ESN, en fait toute l'équipe est de l'ESN globalement et on va réaliser un projet pour un client donné. Souvent on va être en engagement de résultat ici : on a un engagement sur un résultat défini à réaliser dans un délai défini avec souvent des éléments contractuels du type de retard toléré, pénalité de retard, etc.

Je n'ai jamais été dans ce cas exact, mais j'ai vécu une situation presque identique : j'ai été en mission pour le compte d'une ESN qui m'a envoyé en mission chez une autre ESN qui avait besoin d'un développeur en plus pour travailler en régie sur un de ses pôles. Donc j'ai vécu la régie pendant un peu plus d'un an mais juste par pour l'ESN qui m'employait.

Je ne vais pas parler de ce cas qui n'est pas le cas qui m'intéresse ici, mais je pourrais en parler dans un autre article si ça intéresse des gens.

Faire de l'assistance technique

Le premier point c'est qu'on ne travaille pas au quotidien avec nos “vrais” collègues (ceux qui sont employés par la même ESN), on travaille chez le client. En fait c'est assez proche de l'intérim sauf qu'on est en CDI classique avec une ESN, donc si on se retrouve sans mission c'est l'ESN qui gère le fait qu'on ne rapporte pas d'argent, là où en intérim si on a pas de mission on est généralement au chômage.

Je sais que ça inquiète pas mal de gens car ça veut dire s'intégrer à une nouvelle équipe régulièrement (on va forcément changer de mission à un moment donc changer d'équipe) et on a parfois l'impression de devoir en faire beaucoup et apporter plus que les autres.

En vrai il faut se dire qu'on est là pour travailler comme les autres, mais juste on est une ressource modulable plus facilement, car si besoin le client peut nous sortir des effectifs relativement facilement. Dans les faits, si tout va bien, le client fera tout pour nous garder le plus longtemps possible, car comme les internes, on est vite porteur de connaissance et le fait de partir veut dire une perte de connaissance automatique. Par contre on est pas là en remplacement d'un interne de la manière dont parfois on prend un intérimaire en attendant un retour de congé parental ou arrêt maladie. On est généralement intégré à une équipe comme un interne, sans vrai limite de temps.

Préparer son départ en continu

Comme je disais il arrive forcément un moment où on va partir. Il y a pas mal de raisons à ça. La première c'est la limite à 3 ans pour les contrats de prestation (mais qui peut être étendu avec une dérogation), parfois des entreprises ont une limite même plus courte pour être sûr de ne pas avoir de problème. La seconde c'est l'envie de partir, en effet je fais partie des gens qui sont toujours partis par choix, non pas parce que ça se passait mal mais parce qu'il était temps de partir à mon sens pour continuer d'évoluer. La troisième raison qui arrive c'est les réorganisations qui font que notre mission n'a plus de sens ou bien juste l'objet de notre mission est terminé (imaginons qu'on soit là pour faire la migration d'une application d'une techno à une autre, une fois fait le client peut juger que les internes suffiront pour tout gérer). La dernière raison qu'on voit de temps en temps c'est des problématiques de budget, en effet sortir un prestataire est relativement facile et peut se faire en moins d'un mois très souvent, là où pour un interne il faudra jongler avec les périodes de préavis de plusieurs mois.

Beaucoup de cas mais tout dans tous les cas : on a pas vocation à rester. En tout cas, à priori, car on peut théoriquement passer interne si le client est intéressé de nous garder. Mais sauf dans ce cas, on doit cherche à ne pas être « LE sachant », être la personne qui centralise tout, sans qui rien ne fonctionne. De toute façon c'est toujours une mauvaise chose d'avoir un rôle comme ça, parce qu'on se retrouve en situation de truck factor (imaginons au hasard que LE sachant se fasse renverser par un camion et meurt sur le coup, on fait comment ? ou même juste s'il est malade ou qu'il parte en vacances ?). Globalement ça ne veut pas dire qu'on ne doit rien savoir, mais juste jamais être le seul à porter la connaissance d'un gros sujet.

Un point qui est parfois frustrant : on ne peut garder aucun code (c'est pas uniquement moral/éthique, c'est aussi légal, car c'est la propriété du client), mais on peut engranger de l'expertise et la réutiliser dans les missions suivantes. C'est même ça qui fait de quelqu'un un bon prestataire à mon sens : être capable de monter en compétence mission après mission pour ensuite réutiliser cette expertise sur les missions suivantes.

On apporte autre chose

Rentrons sur un gros sujet : c'est quoi la bonne durée pour une mission ? Je ne peux pas vraiment vous donner une réponse parfaite, chacun est différent, chaque mission est différente et on peut avoir un rôle différent en fonction des missions. À mon avis, en tant que développeur une mission d'environ 1 an c'est pas mal, on a le temps de s'installer mais sans trop se poser, on a le temps de monter en compétence et souvent faire le tour de ce qu'on peut apprendre aussi. Après ça dépends des missions et des contextes, j'ai vu des contextes où il fallait au moins 6 mois pour monter vraiment en compétence, du coup là il faut plutôt viser autour de 18 mois, sinon on en tirera pas grand-chose. Pour des rôles différents, ça peut varier aussi, avec un rôle de lead dev je pense qu'il faut plutôt viser 2 à 3 ans, car on a souvent une vue plus large, plus de responsabilité, et on est un peu garant de la stabilité de l'équipe dans un sens, et sans s'interdire de passer à autre chose, ça me parait un peu abusif de rester moins de 2 ans (sauf si la mission est bornée à un projet ou autre). À l'inverse on peut être face à des missions d'expertises avec un cadre très restreint et qui pourra durée entre quelques jours et quelques mois.

Le sujet était sous entendu, mais du fait qu'on accumule des expériences plus courtes, on a aussi une expérience souvent plus variée que nos collègues internes. Ce n'est pas toujours le cas, j'ai connu des internes qui étaient passés par beaucoup de prestations ou pas mal de clients finaux ou même qui travaillaient pour des entreprises assez ouvertes aux mutations internes pour avoir vu beaucoup de choses. Par contre en général les internes ont des expériences disons plus “stable”, ce qui leur permet de maitriser beaucoup plus certains éléments des projets, des process internes ou du métier, là où nous on peut apporter plus variété de pratiques et d'expériences.

Un gros avantage qu'on a en tant que prestataire c'est qu'on peut facilement ouvrir des sujets, parfois faire bouger certaines lignes pour améliorer les choses. Ce n'est pas vrai partout, mais en général on peut s'appuyer sur notre expérience pour proposer des choses, bien sûr sans arriver et casser l'existant pour casser. Mais si on voit un point qui ne fonctionne pas ou pas bien, c'est évident qu'on peut proposer autre chose en appuyant sur nos précédentes expériences.

Le plus important pour moi c'est de partir avec une nouvelle expérience, des nouvelles pratiques, des nouvelles méthodes de travail qu'on utilisera (ou pas) pour les missions suivantes.

Beaucoup plus de collègues

Un avantage qu'on ne réalise pas forcément au début c'est qu'on a beaucoup plus de collègue et qu'on rencontre beaucoup plus de gens.

Déjà on a une ESN derrière nous. Ça veut dire qu'on a accès un réseau de ce fait, parfois une vraie communauté. C'est mon cas chez SFEIR par exemple, où quasiment dès le tout début je me suis retrouvé en contact avec un collègue de l'agence du Luxembourg, car on bossait sur le même support de formation sans oublié tous mes collègues à Nantes a qui je peux demander un coup de main ou une info sans souci parce qu'on s'entraide autant qu'on peut !

Dans le même temps, on a tous nos collègues « de mission », qui sont nos collègues autant que ceux de notre ESN, voir plus, car c'est avec eux qu'on travaille le plus au final. C'est une équipe qu'on intègre, avec un besoin de s'intégrer assez vite pour prendre ses marques ce qui parfois n'est pas simple.

Parfois on peut aussi se sentir un peu seul chez le client, parce que pas de communauté dans notre ESN, pas vraiment de moment de rencontre, pas vraiment de contact, donc on est seul chez le client et on est pas aussi intégré qu'un interne donc c'est assez difficile.

Mais un entre deux perpétuel…

Quand on prend du recul on se retrouve entre deux entreprises : celle pour qui on travaille au quotidien et l'entreprise qui nous emploie (notre ESN).

Les deux sont déconnectées, avec chacune leurs objectifs, leurs choix, leurs ambitions. Ça peut bien se passer d'un côté et pas de l'autre, et en fonction des cas c'est pas toujours simple à gérer. En particulier sur la partie commerciale, car on travaille chez notre client et la relation commerciale est importante, c'est d'ailleurs un commercial qui est souvent notre point d'entrée avec notre ESN.

En parlant des commerciaux, on est aussi tributaire de leur capacité à nous trouver des bonnes missions. On a pas toujours la même vision de ce que c'est une bonne mission et si on a pas une vraie relation de confiance avec notre commercial c'est compliqué. Je n'ai pas de souci de ce côté-là aujourd'hui mais ça n'a pas toujours été le cas, et les commerciaux qui ne cherchent pas plus loin que la première mission qui veut nous prendre, ou le plus gros TJM, j'ai aussi connu…

À prendre en compte aussi que ce n'est pas directement notre travail au quotidien qui joue sur notre évolution dans notre ESN. En effet, que le client soit content c'est une chose mais si on souhaite évoluer dans notre ESN, ce n'est souvent pas ça le critère mais plutôt l'investissement qu'on aura dans notre ESN.

De l'intérim plus stable…

Comme je disais plus haut, être prestataire c'est un peu comme être intérimaire mais en plus stable au sens où on est en CDI qu'on soit en mission ou non.

Il y a par contre le TJM (Taux Journalier Moyen, le prix que dépense le client chaque jour pour qu'on travaille pour lui) qui peut parfois nous mettre une petite pression. Le TJM varie en fonction de plein de facteurs : grille de l'entreprise, expérience de la personne, compétences, négociation commerciales, etc. Mais autant on est souvent assez peu impacté par le TJM (mais ça dépend des ESN) autant avoir un gros TJM donne parfois l'impression à la fois de devoir en faire plus que les autres à la fois de se faire avoir par rapport à notre salaire journalier.

Attention à bien comprendre comment fonctionne une ESN. L'idée est de faire une marge journalière qui va permettre de payer : les taxes et impôts, les coûts immobiliers (les locaux, les véhicules, etc.), le staff (commerciaux, ressources humaines, direction financière, directeurs d'agences, etc. en gros tous ceux qui ne rapportent pas d'argent mais sans qui les rouages ne tournent pas), la formation, les congés (quand vous être en congés vous ne rapportez pas d'argent, mais l'ESN a toujours un coût de fonctionnement), les avantages du type participations à des conférences (si vous me suivez, vous savez que je profite pas mal de cet aspect), etc. donc j'évoque le fait qu'on peut avoir l'impression de se faire avoir parce que j'entends souvent ça mais ce n'est pas le cas à mon sens.

Dans beaucoup d'ESN on a un commercial pour manager. Je trouve ce système absurde, car un commercial ne connait pas notre métier, ne peut pas comprendre nos difficultés du quotidien, nous guider d'un point de vue carrière. Mais ce n'est pas le cas partout, encore une fois chez SFEIR mon manager est un développeur et ça change vraiment la donne !

Le cas du freelance

Depuis le début de l'article je dis globalement « être prestataire = travailler pour une ESN » mais il y a au moins un autre cas, c'est être freelance. On est pas forcément en assistance technique chez un client quand on est freelance, mais je connais quelques freelances qui calque ce modèle juste en étant leur propre commercial. C'est avantageux sur pas mal d'aspect, car on est plus du tout dépendant de la confiance envers une entreprise pour le choix des missions, et la part du TJM qu'on garde pour nous est plus importante, par contre on est sans doute un peu moins protégé en cas de crise (c'est plus simple de rompre un contrat avec un freelance qu'avec une ESN avec qui on a plusieurs dizaines de contrats).

Conclusion

J'espère vous avoir donné une vision assez large mais précise de ce que c'est la prestation. J'espère vous avoir rendu curieux de ce modèle de fonctionnement qui est mon quotidien depuis 7 ans maintenant. Je suis personnellement très à l'aise avec le modèle de la prestation qui me permet de changer assez souvent de mission, m'a permis de gagner assez vite en expérience et en particulier via Sfeir avoir accès à des rôles que je n'aurai pas pu avoir autrement.

Si vous avez des questions ou des remarques mes DM sont toujours ouverts sur les réseaux sociaux, n'hésitez pas !

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